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Edouard BUGUET
(1840-1890)
Photographe d'atelier.
25 photographies
Dijon Côte d'Or Montargis Loiret Paris Seine Tours Indre-et-Loire
Dans l'histoire de la photographie, Edouard Buguet est connu pour avoir été, en France, le principal producteur de photographies spirites. Il sera condamné en juin 1875 pour escroquerie par le tribunal correctionnel de Paris.
Edouard Isidore Buguet est né le 13 juillet 1840 à Saint-Mard-de-Réno, un bourg de l'Orne. Son père est sabotier et sa mère ouvrière en hardes. Elle a pour patronyme Trouvé sa mère l'ayant, à sa naissance, déposée à la porte de l'hospice où elle a été trouvée et recueillie. En octobre 1859, le jeune Buguet s'inscrit comme élève ciseleur à l'Ecole nationale des arts décoratifs (ENSAD). En 1860, on retrouve Edouard Buguet, élève du théâtre Saint-Marcel à Paris. Il y fait la connaissance d'Etienne Ristout, dont le nom d'artiste est Scipion, qui jouera un rôle quinze ans plus tard dans l'affaire des photographies spirites. Le 24 octobre 1861, Buguet se marie à Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne). Il est alors tonnelier et vit chez ses parents, marchands de vin, domicilié rue du Fer à moulin à Paris (5e). C'est là que naît sa fille aînée le 16 août 1862. C'est après cette date qu'il commence à se former au métier de photographe dans un atelier de la capitale. Vingt ans plus tard, pour épater sa clientèle,, il se présentera comme un « artiste peintre, ex-opérateur des premières maisons de Paris telles que Waléry, Nadar, Liebert, Disderi ». L'homme n'était pas à une vantardise près.
Carrière professionnelle :
DIJON : Il commence à travailler à son compte à Dijon (Côte d'Or). La date à laquelle il a ouvert son atelier 2, cours du Parc n'est pas connue. Il est recensé à cette adresse en 1866. Le cours du Parc était une adresse très prisée des photographes dijonnais, Buguet y avait pour voisins Edmond Capron au 4 ; Alphonse Chardin au 6 et Pierre Pilleron au 26 ! Au verso d'un portrait « carte de visite » fait dans son atelier, on trouve une référence à l'exposition universelle de 1867 à Paris (?). La photo est signée Buguet fils. Comme si le marchand de vins, avait transmis son savoir à son fils. En fait, Buguet, avait pour employé Adolphe Lecomte qui était son beau-père. Buguet a quitté Dijon en 1870 au plus tard.
Lyon - la Belgique : Après avoir quitté Dijon, il est possible que Buguet soit passé par Lyon. Lors de la perquisition faite à son domicile en 1875, la police trouvera plusieurs clichés relatifs à la Commune de Lyon (proclamations du comité central, annonce d'un grand meeting, proclamation du bataillon des francs-tireurs de la Révolution). En 1871, pendant le siège de Paris, il vit à Spa (Belgique). Selon la police, c'est là qu'il aurait fait la connaissance d'une jeune émailleuse en photographies Eugènie Louise Pantu ou Panthu âgée de vingt ans, dont il aura une fille. Cette « deuxième famille » le suivra jusqu'à Tours.
PARIS : De retour dans la capitale, Buguet s'installe rue Suger. Le 9 décembre 1871, associé à Emile François Graffe, il entre en jouissance d'un appartement situé 11, place Saint-André-des-Arts où ils vont exercer jusqu'en mai 1873 date à laquelle il cède la moitié du fonds de commerce à son associé . Le 12 juin 1873, François Tissot-Dupont lui vend l'atelier du 5, boulevard Montmartre qui avait été celui de Léon Crémière. Prix de la cession :16 000 francs. C'est là qu'il réalisera les photographies spirites qui lui vaudront d'être condamné pour escroquerie à une peine de prison (voir ci-dessous). Après sa condamnation par le tribunal correctionnel, il confie la gérance de son fonds de commerce à Ernest Vanherzeele qui avait été associé à la production des photographies spirites. Le 1er janvier 1876, il cède son fonds de commerce à Auguste Pierre Blin. En mai 1876, il est déclaré en faillite. De son côté, son épouse obtiendra le 21 août 1877 la séparation de corps et de biens.
MONTARGIS (Loiret) : A sa sortie de prison, Buguet s'éloigne de la capitale. Sous le pseudonyme de C. Robert, il reprend discrètement son métier à Montargis ; la ville compte à l'époque 11 000 habitants En octobre 1877, il opère dans l'ancien atelier d'Edmond Peigné 36, rue de Loing. . Il y reste moins de trois ans . Il cède son fonds de commerce à Edouard Hy pour la somme de 22 000 francs avec entrée en jouissance dès le 1er mai 1880.
TOURS (Indre-et-Loire) : Buguet s'installe à Tours en 1880. Il commence par travailler discrètement 15, rue des Etudiants à l'enseigne "Photographie de l'Armée" sans mention de son nom. C'est à cette adresse qu'il sera recensé en 1881 avec Eugénie Panthu et leur fille. .L'atelier de la rue des Etudiants ne sera qu'une brève étape. Buguet, qui a repris son nom, s'installe bientôt en plein centre ville. En novembre 1880, il obtient l'autorisation d'installer une enseigne au-dessus de son atelier situé rue des Fossés-Saint-Georges dans un immeuble qui fait angle avec la rue Royale (aujourd'hui rue Néricault-Destouches et rue Nationale). Albert Langlois et Achille Delêtre l'avaient précédé à cette adresse. C'est là qu'il réalisera le portrait du commandant Darget, spirite convaincu, qui se trouvait dans son atelier parisien le 22 avril 1875, lorsque la police était venue perquisitionner. En 1885 environ,le nom de la rue des Fossés-Saint-Georges est laïcisé en rue de Clocheville.
MONTARGIS (Loiret) : En janvier 1886, quand sa fille Marie-Louise se marie, Edouard Buguet est de nouveau photographe à Montargis. Il succède à son ami Achille Delêtre qu'il avait connu à Tours. Au dos de ses photos, il se présente comme opérateur géant de la "Photographie des Deux Mondes" maison principale place du Cerceau à Montargis (Loiret). Buguet exercera dans cet atelier jusqu'à son décès survenu le 30 octobre 1890 à Paris (10e)
Sources : Eclatdebois (site Internet) ; Voignier Jean-Marie : Buguet-Robert, photographe spirite (Bulletin de la société d'émulation de l'arrondissement de Montargis n°101 à mars 1996) ; Marc Durand: De l'Image fixe à l'image animée 1820-1910 - Archives nationales - 2015
Edouard Buguet, photographe spirite.
Quand Edouard Buguet s'installe comme photographe à Tours en 1880, peu de gens se souviennent que cinq ans plus tôt il avait été condamné pour escroquerie par le tribunal correctionnel de la Seine. Pourtant, ce procès retentissant avait fait l'objet de longs comptes rendus dans la presse parisienne et provinciale. Buguet était un escroc peu banal. Pendant seize mois, il avait fabriqué des photographies sur lesquelles apparaissait « l'esprit » d'une personne décédée. En abusant de la crédulité de sa clientèle constituée de spirites fervents, il avait gagné beaucoup d'argent.
Le mouvement spirite français a été créé en 1857 par Allan Kardec (1804-1869), de son vrai nom Hippolyte Léon Rivail. Les principes du Spiritisme codifiés par Kardec sont les suivants :
Dieu est éternel, immuable, immatériel, unique, tout-puissant, souverainement juste et bon.
Il a créé l'univers qui comprend tous les êtres animés et inanimés, matériels et immatériels.
Les êtres matériels constituent le monde visible ou corporel, et les êtres immatériels le monde invisible ou spirite, c'est-à -dire les Esprits
La doctrine d'Allan Kardec est diffusée à travers ses livres : Le Livre des Esprits (1857) ; Le Livre des médiums (1861) et par le biais de la Revue spirite qui comptait, selon son directeur, 1 100 abonnés en 1875. Le mouvement spirite sera actif à Tours à la fin du XIXe siècle autour de Léon Denis (1846-1927) qui fut le continuateur d'Allan Kardec. Celui-ci était convaincu qu'une fois désincarnés les morts peuvent communiquer avec les vivants soit directement, soit par l'intermédiaire d'un médium. Ce médium pouvait être un photographe. Un américain William H. Mumler fut le premier à ouvrir, avec succès, un commerce de photographie spirite dès les années 1860. La nouvelle se propagea outre-Atlantique et jusqu'à Tours. Dans son édition du 28 mai 1863, « Le Journal d'Indre-et-Loire » consacra un long article à la photographie spirite en Amérique. Les spirites français étaient très intéressés par la production de Mumler et des autres médiums photographes. Ils en achetaient à un photographe de Boston mais comme le coût unitaire était élevé, ils les faisaient reproduire par un photographe parisien Claude Joseph Choisy qui exerçait sous le nom de Saint-Edme. En avril 1875, quand la police perquisitionna à son domicile, elle trouva 40 photographies spirites, mais aussi 60 cartes pour stéréoscope obscènes et 8 cartes photographiques obscènes. Saint Edme ne gagnait pas sa vie qu'avec les esprits immatériels. L'importation de photographies américaines était un palliatif pour les spirites français. Ils voulaient avoir sur place un photographe médium à qui ils passeraient commande. C'est là qu'Edouard Buguet intervint.
En 1860, Buguet, âgé de vingt-deux ans, avait pris des cours au théâtre Saint-Marcel à Paris et s'était lié d'amitié avec Etienne Ristou, artiste dramatique sous le nom de Scipion. C'est Scipion qui, en 1873, lui parle des photographies spirites américaines. Tous les deux vont rendre visite à un médecin parisien, le docteur Puel chez lequel ils assistent à des séances de spiritisme en présence de médiums. Puel met le photographe en contact avec Pierre-Gaëtan Leymarie qui lui propose de réaliser des photographies pour la « Revue spirite » dont il est le directeur. La proposition est assortie d'un prêt de 3.500 francs, une jolie somme pour Buguet qui avait son fonds de commerce à payer et deux familles à entretenir. En janvier 1874, la « Revue spirite » publie un premier article sur les photographies d'Edouard Buguet, Ce dernier reçoit des commandes qui viennent de partout en France. Au travers d'une photographie payée fort chère, les spirites fervents veulent communiquer avec l'esprit d'une personne disparue ; elle peut apparaître seule ou à leurs côtés sur l'épreuve réalisée par Buguet. Pressé, le photographe commet parfois des erreurs grossières. Un épicier de Montreuil-sur-Mer qui avait demandé l'Esprit de son enfant décédé reçoit le portrait d'un homme de cinquante ans ! En juin 1874, Buguet séjourne à Londres pendant plusieurs semaines et fait une démonstration devant les journalistes anglais. Le 18 juin, il écrit à Leymarie : « Cette expérience a été comme toujours un plein succès, tous ces messieurs m'ont promis d'écrire sur tous leurs journaux une tartine épatante ». La presse parisienne s'intéresse elle aussi au travail de Buguet. Pour que les journaux lui fassent de la publicité, il est prêt à les payer. Un article publié dans « Le Figaro » du 24 août 1874 lui coûtera la coquette somme de 300 francs.
Dès le mois d'octobre, la préfecture de police s'intéresse à Buguet et commence à enquêter sur son commerce de photographies spirites. Convaincue des moyens frauduleux qu'il emploie, la police débarque dans l'atelier du 5, boulevard Montmartre le 22 avril 1875 et constate le flagrant délit. Buguet est arrêté et conduit à la prison de Mazas. L'affaire des photographies spirites est jugée les 16 et 17 juin devant la 7e chambre du tribunal correctionnel de la Seine. Avec Buguet, comparaissent Leymarie, le directeur de « La Revue spirite » et Alfred-Henri Firman, citoyen américain, qui se présente comme médium. Devant le tribunal, Buguet révèle les procédés qu'il utilisait pour fabriquer ses photographies. Le public, composé essentiellement de spirites, apprend que Buguet et ses employés manipulaient une poupée articulé dont on pouvait changer la tête pour figurer les spectres. La propre fille de Buguet, dont il avait mouillé les cheveux, sera utilisée comme spectre d'une petite fille qui s'était noyée à Bénodet. Dans les attendus du jugement, le ministère public relève que Buguet « en prenant la fausse qualité de médium au moyen d'évocations faites en commun entre lui et l'adhérent spirite, accompagnées parfois d'accords mélodiques destinés à émouvoir l'âme de l'évocateur et à acheminer sa contemplations vers les régions célestes. Au moyen de poupées sans tête surmontées par lui, selon les désirs du visionnaire et les besoins du photographe, de visages d'hommes, de femmes, d'enfants de tous âges, découpés sur des cartes photographiques sans distinction entre les personnes mortes et les personnes vivantes, et accumulés dans plusieurs boîtes à compartiments ; avec l'aide de deux objectifs fonctionnant l'un après l'autre, dans deux ateliers différents : l'un fabriquait le spectre de la poupée hors de la présence de l'adhérent spirite ; l'autre qui photographiait ce dernier dans l'atelier de poses, il a reproduit sur le même cliché l'image de celui qui sollicitait l'apparition de l'esprit et celle de l'esprit évoqué ; Qu'au moyen de ces manoeuvres frauduleuses employées pour persuader l'existence d'un pouvoir surnaturel imaginaire, Buguet s'est fait remettre en échange de ces épreuves fantasmagoriques des sommes d'argent. Par ces motifs, Buguet est condamné à un an de prison et 500 francs d'amende. Leymarie à la même peine et Firman à six mois de prison et 300 francs d'amende. Le jugement sera confirmé en appel. Entre temps, Buguet qui s'était plaint à la police de l'attitude hostile de certains spirites à son égard s'enfuit en Belgique. Le 1er septembre 1875, il écrit au Garde des sceaux pour se rétracter : « Oui je suis médium, et c'est grâce à ma faculté que les deux tiers des photographies avec apparitions d'esprits sont vraies Veuillez donc, Monsieur le Ministre de la Justice, vous servir de ces déclarations formelles pour rendre hommage à la vérité et réparer en partie les graves préjudices que mes déclarations antérieures on pu causer à mon co-accusé innocent » La police a de bonnes raisons de douter de la sincérité de cette rétractation. Elle a appris que Buguet avant de quitter la France s'était vu proposer par les Spirites des sommes d'argent importantes. Leymarie, le « co-accusé innocent », utilisait le moyen le plus efficace pour faire dire à Buguet ce que tous les spirites voulaient lui entendre dire. Pour leur complaire, le photographe intervient au congrès des spirites qui se tient à Bruxelles les 25 et 26 décembre 1875 et déclare que ses photographies n'étaient pas truquées ! En même temps, Buguet, qui jouait double jeu, restait en contact avec la préfecture de police auprès de laquelle il avait exprimé « le désir de rendre des services à l'administration ». Ces « services » ne lui épargneront pas la prison. A son retour à Paris, il est incarcéré à la prison de la Santé. Les dates exactes de sa détention dans cette nouvelle prison ne sont pas connues. Les registres d'écrou ont, semble-t-il, été détruits dans un incendie. En juin 1876, il écrit au président de la République pour demander la remise de tout ou partie de la peine qu'il y subit. On ignore si Mac Mahon s'intéressa au sort de cet escroc que les Français allaient vite oublier.
Sources :
- Archives de la Préfecture de police de Paris. Dossier Buguet Ba 880
- Le Trosième oeil. La Photographie et l'occulte. Catalogue de l'exposition présentée à la Maison européenne de la photographie. (Gallimard 2004). Voir notamment l'étude de Clément Chéroux sur « La dialectique des spectres. La photographie spirite entre récréation et conviction ».
- Le procès des spirites, édité par Mme Leymarie (Paris 1875) est consultable sur Internet.