Joseph MONTES (de)

(1851-1922)
Photographe d'atelier
8 photographies

Dieppe Seine-Maritime

Dans son livre « Comment j’ai vécu 1900 », la comtesse Jean de Pange née Pauline de Broglie, évoque ses longs séjours à Dieppe pendant la saison estivale.  « Un photographe élégant J. de Montès avait son atelier dans un pavillon du casino. Il obtenait beaucoup de succès. Tous, bourgeois, aristocrates et rastaquouères se faisaient photographier devant les décors de son invention.…J’ai ainsi des photos de toute la famille et moi-même, devant des tours en ruines, des colonnes brisées, des balustrades romantiques… ».   Joseph de Montès, « le photographe élégant », revenait de loin. Vingt-cinq ans plus tôt, lieutenant dans l’armée carliste, il s’était réfugié en France après avoir traversé à pied les Pyrénées. Le jeune homme ne pouvait imaginer qu’il deviendrait  un photographe à succès loin de son Andalousie natale et sous un ciel un peu  moins clément.

Joseph Victor Joaquin Ciriaco Paulo Felipe de la Très Sainte Trinité de Montes (1) est né le 28 juillet 1851 à Malaga (Espagne) où ses parents étaient lithographes.  Il aurait pu leur succéder mais  préféra exercer son talent de peintre miniaturiste. Sa famille conserve les portraits peints sur ivoire de son père et de sa mère.  A-t-il dès cette époque approché  la photographie en amateur ? C’est possible. Au XIXe siècle, en France -mais sans doute aussi en Espagne-, beaucoup d’artistes peintres, faute d’un nombre suffisant de clients, sont devenus photographes par défaut ou par conviction. Une séance de pose chez un photographe ne durait quelques minutes et coûtait  bien moins cher. Cependant ce n‘est pas pour devenir photographe que le jeune Joseph de Montes a délaissé ses petits  pinceaux de miniaturiste mais pour rejoindre l’armée carliste.  (voir infra : Les guerres carlistes).

                             REFUGIE EN FRANCE :

La troisième guerre carliste s’est terminée  en février 1876 mais il semble que le lieutenant de Montes, peut-être blessé au combat,  ait rejoint la France dès 1875. Il serait passé par Toulouse mais cela reste à vérifier. Beaucoup de carlistes s’étaient naturellement regroupés dans des villes françaises proches de leur pays natal ce qui inquiétait les autorités. La IIIe République encore fragile, se méfiait de ces monarchistes conservateurs qui s’étaient battus contre l’éphémère 1ère république espagnole (1873-1874).  Le ministère de l’intérieur donna des instructions aux préfets afin que les carlistes  aillent vivre -et parfois conspirer- loin des Pyrénées.  C’est ainsi que Joseph de Montes serait arrivé à Dieppe (Seine-Maritime) en février 1876.  Il y séjournera un mois tout au plus.

                 EMPLOYE PHOTOGRAPHE A TOURS :

Sur un état nominatif des réfugiés carlistes internés à Tours présents le 1er avril 1876, (2) on trouve sous le numéro 68 (sur 120)  José Montez. Comme tous les réfugiés sans ressource, il perçoit un secours  de 27,75 francs pour la période du 4 mars au 9 avril 1876. Sur un autre état non daté mais plus tardif, José Montès ne reçoit plus de subside car il travaille comme photographe. Le nom de son employeur n’est pas mentionné mais on peut avancer sans trop de risque  le nom d’Henri Marie Viollet (1849-1926). Pendant deux ou trois ans, il a été  photographe rue Sainte-Marthe à Tours où  sa présence est attestée en décembre 1876. Henri Marie était l’aîné des neuf enfants -dont trois seront prêtres- d’Henri Hilaire Viollet (1821-1899). Pharmacien, royaliste, ce notable tourangeau était  membre du comité carliste de Tours composé selon le commissaire de police de « personnes très honorables » qui géraient les subsides versés aux réfugiés. L’appui à la cause carliste  d’Henri Viollet père  s’était aussi concrétisé par l’embauche dans sa pharmacie de Francisco Serrano Retamero qui pendant la troisième guerre carliste avait été l’aide de camp de Carlos Boët,  homme de confiance   du prétendant au trône d’Espagne jusqu’à ce que ce dernier l’accuse de lui avoir volé la Toison d’or. (voir infra).  Quand Boët sera jugé à Milan en juin 1880, trois hommes qu’ils l’avaient protégé  à Tours viendront  témoigner :  Francisco Retamero qui se retournera contre son ancien supérieur, le pharmacien Viollet et Joseph de Montes.

Le photographe  a vécu plusieurs années à Tours où il s’est marié le 2 mai 1879. Son épouse, Marie Eugénie Dehayes, était institutrice. Elle parlait couramment cinq langues et en apprendra deux autres avec ses enfants. L’avant-veille de leur union, le photographe et sa future épouse avait passé un contrat de mariage devant un notaire  ; l’apport de Joseph de Montes, ce n’est pas une surprise,  se limitait à ses habits et effets personnels. (3) C’est sans doute peu après leur mariage que le couple quitte la Touraine pour rejoindre la Normandie.

                                     PHOTOGRAPHE A DIEPPE :

Le fils aîné du couple naît le 19 septembre 1880 à Neuville-lès-Dieppe, juste à côté de la ville de Dieppe (Seine-Maritime) à laquelle elle sera rattachée en 1980. Deux autres fils naîtront à Neuville en 1881 et 1884. Durant la première moitié des années  1880, J. de Montes opère près du casino de Dieppe où il a succédé à Charles Gabriel Gasc, « photographe au casino », qui, durant l’été 1879, accueillait sa clientèle « dans un élégant baraquement en bois ».   En juin 1886, on inaugure le nouveau casino de Dieppe construit dans un étonnant style mauresque. (4) Joseph  de  Montes quitte alors son « élégant baraquement » et s’installe dans une aile du casino  où il dispose d’un bel atelier. (5)  Il va y opérer plus de trente ans à l’enseigne « Photographie du Casino ».   Bâti en bordure de la plage, le casino était l’emplacement idéal pour le photographe d’une station balnéaire renommée. Pendant la longue saison estivale, le « Casino Mauresque » était fréquenté par des gens fortunés  lesquels,  comme en témoigne  la  comtesse de Pange, venaient en famille se faire photographier au milieu des décors conçus par  J. de Montes.  A la  morne saison, soit du 1er novembre au 31 mars, quand tous les estivants avaient reflué vers Paris, Londres ou leur château en Anjou, le photographe baissait ses prix de 20 %. (6) Actif à Dieppe pendant quarante ans, Joseph de Montes avait acquis une solide réputation dont certains essayèrent de profiter en se présentant comme ses courtiers. En 1919, il  met en  garde  sa clientèle contre les agissements de photographes ambulants qui se recommandaient abusivement de lui. (7)

Joseph de Montes est décédé à Dieppe le 29 janvier 1922 chez sa fille Dolorès de Montes, qui avait épousé en mai 1909 Paul Triquet, alors employé de banque. C’est  lui qui reprit la « Photo du Casino » en 1920.

Le fils cadet du photographe, Georges de Montes (1881-1918), après avoir travaillé longtemps dans l’atelier paternel, s’installa  à Bagnères-de-Bigorre  (Hautes-Pyrénées) où son deuxième fils, Alex  naquit en 1911. Souffrant de la tuberculose, Georges de Montes mourut en 1918 à l’âge de 37 ans.   Sa veuve, née Pelegrina  Herrera Galludo,  lui aurait succédé à Bagnères avant de poursuivre son activité à Loudun (Vienne).  Alex de Montes prit la suite de sa mère vers 1933.

 Sources :

Cette notice doit beaucoup aux informations transmises à Pascal Cordonnier par les parents du photographe, Christiane Bodin de Montès, Elisabeth Triquet et Damien Vauquelin.

(1)  Bien que le nom du photographe ait souvent été orthographié "de Montès", il est préférable de respecter la graphie d'origine, sans accent  grave sur  le E.

(2)    Archives départementales d’Indre et-Loire.   4M892

(3)    Archives départementales d’Indre-et-Loire. Etude de Me Jouanneaux, notaire à Tours,  3E2/1102

(4)    En 1926, le Casino mauresque est démoli et remplacé par une construction moins exotique qui sera détruite par les Allemands durant la Seconde Guerre mondiale.

(5) En juin 1886, J. de Montes informe sa clientèle qu’il a ouvert une succursale de son atelier du casino au  83, Grande rue à Dieppe où il était domicilié depuis qu’il avait quitté Neuville. (« La Vigie de Dieppe » du 15 juin 1886. Consultable en ligne sur le site de la bibliothèque de Dieppe.)

(6) « La Vigie de Dieppe » du 6 décembre 1910. Voir supra.

(7) «La Vigie de Dieppe » du 24 juin 1919.   Voir supra.

 

 

LES GUERRES CARLISTES

LA PREMIERE GUERRE :  Le 29 septembre 1833, le roi d’Espagne Ferdinand VII meurt sans héritier mâle. Avant de mourir, il avait abrogé la loi salique qui interdisait aux femmes  d’accéder au trône. Sa fille  Isabelle, qui n’a pas trois ans, devient reine d’Espagne sous la régence de sa mère, Marie-Christine de Naples, réputée plus libérale que son défunt époux.  Le frère du roi, Charles de Bourbon-Parme, qui pensait lui succéder,  s’oppose frontalement à cette succession qui l’a écarté du trône.   Il se fait proclamer roi sous le nom de Charles V par ses partisans, les Carlistes.  Pendant six ans Carlistes et défenseurs de la régente s’affrontent. Les partisans de Charles V sont défaits en août 1839.

LA DEUXIEME GUERRE :

Plus larvée que la première, la seconde guerre carliste divisera le royaume espagnol entre 1846 à 1849, Don Carlos (Charles V) avait abdiqué en faveur de son fils  Charles de Bourbon Parme, prétendant à la couronne sous le nom de Charles VI. Les Carlistes sont à nouveau défaits par les soutiens de la reine Isabelle.

LA TROISIEME GUERRE : Les deux partis s’affrontent à nouveau à partir de 1872. Le champion des  Carlistes  est désormais  Charles de Bourbon,  un neveu du prétendant Charles VI. En face, la situation est plus mouvante. En 1872, Amédée 1er est roi d’Espagne. Après son abdication, la Première République espagnole est proclamée mais s’effondre l’année suivante.  Alphonse XII monte sur le trône en 1874. La guerre s’achève quand les Alphonsistes s’emparent du dernier bastion carliste, la petite ville d’Estella en Navarre dont ils avaient fait leur capitale. Battu, Charles de Bourbon Parme  franchit  les Pyrénées avec plusieurs milliers  de ses partisans.

Source : Wikipedia.

 

L’AFFAIRE DE LA TOISON D’OR

Après avoir fui son pays, don Carlos (Charles de Bourbon Parme) prétendant au trône d’Espagne sous le nom de Charles VII, voyage en Europe.  Il se trouve à Vienne (Autriche) en novembre  1877 quand son oncle lui lègue un précieux souvenir de famille, une Toison d’or, sertie de plusieurs dizaines de  diamants. Don Carlos confie ce bijou de grande valeur à son valet de chambre. Parti de Vienne,  le prétendant, accompagné de Carlos Boët, son aide de camp, se rend à Venise puis à Milan. C’est là, le 13 décembre 1877,  dans l’hôtel où il séjourne avec sa suite,  que don Carlos constate que la Toison d’or a disparu. Toujours accompagné de Boët, le prétendant part à Paris où son aide de camp lui annonce son départ prochain pour Bayonne où il veut fêter  Noël en famille. Don Carlos, qui nourrit des soupçons  sur Boët, mandate une agence  de police privée et le fait suivre. Un enquêteur se rend à Bayonne et découvre que Madame Boët, qui avait des dettes, a  vendu 45 brillants de la Toison d’or au début de l’année 1878.  Boët a quitté   Bayonne  et se cache chez un ami. L’un des rares à pouvoir le contacter est Francisco Retamero, son aide de camp pendant la troisième guerre carliste. En 1876,  Retamero vit à Tours où il côtoie une centaine de réfugiés. Ces Espagnols sans le sou sont aidés par un comité carliste local où siège le pharmacien Henri Viollet. Il emploie Retamero dans son officine.  Son fils aîné, le photographe Henri Viollet, fait lui travailler dans son atelier un autre carliste, Joseph de Montès, peintre miniaturiste. Contacté par un émissaire du prétendant venu spécialement à Tours, Retamero refuse de communiquer l’adresse de Boët mais il transmet à son ancien supérieur la  prière insistante de don Carlos de lui restituer les diamants.  Sentant que l’étau se referme sur lui, Boët  se résout à  rendre  une partie des pierres précieuses en mars 1878. Cela ne suffira pas.   Don Carlos ne retire pas  la plainte pour vol qu’il a déposée. Boët  passe à l’attaque et  publie en 1879 un mémoire intitulé « Le roi des carlistes – Révélations du général Boët sur la vie intime et la vie publique de don Carlos ». Arrêté en Italie où il se trouvait, Boët est incarcéré jusqu’à l’ouverture de son procès devant la cour d’assises de  Milan en juin 1880. Procès fleuve suivi par de nombreux journalistes : 42 témoins appelés à la barre et deux interprètes pour assurer la traduction. Pour se défendre, Boët reprend la thèse développée dans son mémoire à savoir que c’est le prétendant  qui lui avait demandé avec insistance de vendre discrètement les diamants car il avait de gros besoins d’argent et entretenait une liaison avec une aventurière. Pour ce procès hors norme, on avait fait venir de Tours, le pharmacien  Viollet qui connaissait  Boët auquel il avait fait bonne impression. Convoqué à Milan, Joseph  de Montès, photographe installé depuis peu à Dieppe, fut interrogé au sujet d’une lettre qu’il avait copiée à la demande de Retamero. Ce dernier, sentant qu’il avait été manipulé par celui qu’il avait fidèlement servi en Espagne, témoigna contre lui.  Ce qui n’impressionna pas le jury.  Le 22 juillet 1880,  Boët est acquitté au motif que l’accusation n’a pas apporté la preuve que les diamants avaient été vendus à l’insu de leur propriétaire.

Sources :

-          « El robo del Toison de oro » Brochure mise en ligne par la  Biblioteca digital hispanica.

-          Jacques Bernot « Les Princes cachés » (2014)  Les pages de ce livre sur le vol de la Toison d’or sont partiellement consultables en ligne.

-          La presse française a consacré de nombreux articles au vol de la Toison d’or en  1879 et 1880. Sur Gallica, on consultera notamment « L’Univers » et « Le Gaulois ».